triathlete sportif orthokeratologie

Nous sommes en 2022 et les professionnels de la vue du monde entier recommandent des interventions de prise en charge de la myopie pour ralentir l’évolution de la myopie chez les enfants et les adolescents. Dans la plupart des cercles professionnels, la myopie n’est plus considérée comme un simple défaut de réfraction, mais comme le précurseur de modifications de la longueur axiale susceptibles d’entraîner une perte visuelle débilitante.

La prise en charge de la myopie emprunte de nombreuses voies, dont l’orthokératologie (lentilles de nuit), les lentilles souples multifocales, les produits pharmaceutiques et les verres de lunettes innovants.

L’orthokératologie consiste à remodeler la cornée pour réduire temporairement l’erreur de réfraction. De nombreux modèles de lentilles de nuit sont aujourd’hui commercialisés dans le monde entier.

Cette technique est devenue un processus d’adaptation sophistiqué qui comprend des matériaux de lentilles hautement perméables, des géométries de lentilles sphériques et toriques, et un suivi topographique de la surface cornéenne pour évaluer la quantité et l’emplacement du remodelage apporté à la cornée – tout cela contribuant à fournir des résultats prévisibles avec peu de complications.

Le chemin que l’Ortho-K a emprunté pour arriver à sa situation actuelle est un voyage passionnant aux multiples rebondissements.

Les corrections ancestrales

Il y a eu les premières tentatives pour réduire la courbure de la cornée, notamment l’utilisation en Chine ancienne de sacs de sable sur les yeux pendant la nuit pour aplatir la cornée.

Une nouvelle invention créée par le Dr J. Bell (Ball?) en 1850 était une cupule oculaire munie d’un piston monté sur ressort pour frapper la cornée à plat à travers l’œil fermé. Il semblerait que ce fameux Dr J. Bell est une inspiration du personnage de fiction Sherlock Holmes.

Une tentative en verres scléraux par le Dr Kalt en 1888 modifiait la forme de la cornée pendant le port pour corriger le défaut réfractif une fois retirée, mais comme on peut l’imaginer la précision de cette technique et l’oxygénation de l’oeil étant quasi inexistante, la technique n’a pas eu beaucoup de succès.

Ces premières tentatives d’aplatissement de la cornée n’ont eu qu’une action limitée (voire nulle) et n’ont rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’Orthokératologie.

Seconde moitié du 20ème siècle

Au milieu du 20e siècle, la compréhension de la physiologie de l’œil était bien établie, notamment en ce qui concerne la nécessité d’oxygéner la cornée. Cette période a également été le début de la transition des lentilles sclérales de grand diamètre vers les lentilles cornéennes.

Parallèlement, après la Seconde Guerre mondiale, le polyméthacrylate de méthyle (PMMA) est devenu le matériau de choix pour les lentilles de contact. Si le PMMA offrait d’excellentes capacités optiques et d’usinage, sa nature non perméable provoquait un œdème cornéen, entraînant une accentuation de la courbure de la cornée. De plus, si ces lentilles étaient par inadvertance ajustées trop plates, la cornée était remodelée, et les patients remarquaient qu’ils voyaient mieux sans leurs lunettes que jamais auparavant. À partir de ces observations, l’intérêt pour la discipline du remodelage planifié de la cornée a commencé à susciter un intérêt plus scientifique. 

George Jessen (cofondateur de Wesley-Jessen Corporation) a décrit un procédé qu’il a appelé « orthofocus » lors d’une conférence de spécialistes des lentilles de contact qui s’est tenue à Chicago en 1962. Une partie de sa description était que la courbe de base (BOZR) de sa conception serait ajustée plus plate que la kératométrie plate (K) d’une quantité égale à la quantité de myopie ciblée pour la réduction temporaire, qui a été connue sous le nom de Facteur Jessen. Lors de la même conférence, son partenaire commercial, Newton Wesley, a proposé que de nombreuses recherches soient effectuées, tout en suggérant que le terme « orthokératologie  » était la meilleure terminologie à utiliser.

Bien qu’il y ait eu de nombreuses tentatives d’utiliser un autre nom pour cette pratique, le terme reste en place aujourd’hui dans le monde entier.

Les modèles de lentilles utilisés à cette époque, et pendant de nombreuses années, étaient des lentilles sphériques standard portées pendant la journée et adaptées soit par la méthode de Jessen, soit par l’utilisation d’une série de lentilles progressivement plus plates pour modifier la forme de la cornée. Les deux décennies suivantes ont élargi l’intérêt, car les premiers adeptes de l’OrthoK ont commencé à publier leurs travaux, à savoir May et Grant, Nolan, Freeman, Kerns, Polse et al. et Coon. Bien qu’il y ait eu une variabilité individuelle et une faible prévisibilité, ces adoptants précoces ont démontré une réduction temporaire modeste de la myopie (environ 1,00D à 1,50D).

En outre, l’astigmatisme induit par des facteurs non désirés était souvent présent en raison d’un mauvais centrage de la lentille. La figure suivante présente un exemple de conception de lentilles de cette époque. 

Un patient avec une correction de -1,50D sera ajusté 1,50D plus plat que le K le plus plat. La fluorescéine montre cet ajustement plat avec un appui central et un soulèvement excessif des bords, ce qui démontre une adaptation instable et le décentrage qui l’accompagne.

L’avénement de la topographie cornéenne

Jusqu’à cette époque, l’adaptation des lentilles de contact de tous types, y compris l’OrthoK, était principalement basée sur la kératométrie manuelle (Javal ou Sutcliffe) et la réfraction lunettes. Cette situation a commencé à changer à la fin des années 1970, lorsque Sami El Hage, OD, PhD, a décrit, dans le Laboratoire de Physique à Paris, l’utilisation de la « Photokeratoscopy and Controlled Kerato Reformation » (CKR), son terme pour l’orthokératologie.

La topographie a permis de documenter graphiquement la courbure de la cornée, à la fois comme référence et après l’ajustement, afin de comparer l’impact de l’adadaptation Ortho-K. Cette technique, qui permet de documenter graphiquement l’impact du port de lentilles de contact en comparant les images initiales et les images post-adaptation, allait devenir la norme dans les années à venir.

Géométries inversées

Al Fontana a décrit une « One-Piece Recessed Optic Design », où la lentille avait une zone optique postérieure de 6,00 mm et s’adaptait 1,00 D plus plat que la mesure K la plus plate, tandis que la périphérie de la lentille était adaptée à K. Bien que cela semble être une géométrie inverse par description, ce n’est pas le cas. De plus la technologie de taillage CNC permettant de produire cette conception n’était pas encore disponible dans le commerce.

À la fin des années 1980, Richard Wlodyga a fourni une description plus détaillée en concevant une lentille avec un rayon de courbe de base plat (BOZR), un rayon de courbe inverse ≥ 1,00D plus serrée que la courbe de base, et une courbe secondaire plus serrée de 3,00D pour contrôler le centrage. La conception à trois courbes de Wlodyga était intéressante, mais il n’a pas réussi à la faire fabriquer avec précision comme Fontana avant lui. Il a contacté Nick Stoyan de Contex Labs. Leur association a abouti à un produit commercialement viable – une lentille de 9,6 mm, 6,0 mm OZ, avec une courbe périphérique asphérique de 0,50 mm de large, et l’introduction d’une « courbe inverse » qui relie ces courbes entre elles. Finalement, Stoyan a fait breveter cette technologie de conception. La philosophie d’adaptation des lentilles Contex était basée sur les lectures kératométriques. La lentille initiale était ajustée 1,50D plus plate que le K le plus plat, puis des lentilles de plus en plus plates ont été utilisées jusqu’à ce que la correction finale soit atteinte. Ce système a été baptisé « orthokératologie accélérée ».

El Hage a également utilisé son expertise en topographie pour aider à la conception et à l’adaptation de sa lentille CKR à trois zones. D’autres inventeurs ont rapidement suivi.

Tom Reim a amélioré la zone inversée, et John Mountford a utilisé une périphérie tangente plutôt que des courbes d’alignement. Dans le même temps, Roger Tabb, Al Blackburn, John Reinhart, Jim Reeves, George Glady et Jim Edwards ont également apporté des améliorations supplémentaires. Au début des années 2000, de nombreux brevets de conception et de fabrication liés à la Corneal Refractive Therapy (CRT) ont été déposés par Jerry Legerton et Bill Meyers. Ils ont changé la construction de la courbe inverse pour celle d’une courbe sigmoïde afin de modifier la hauteur sagittale de la lentille.

L’orthokératologie moderne

Le port diurne d’OrthoK était recommandé jusque dans les années 1990 aux Etats-Unis. Stuart Grant a proposé ce qu’il a appelé « night therapy and retention » comme moyen de correction pour les patients qui souhaitaient se passer de lunettes et de lentilles de contact pendant la journée. Il a également suggéré que cette solution serait pratique et ne nécessiterait qu’une adaptation minimale, puisque la lentille n’était portée que pendant le sommeil. La pression des paupières exercée par les yeux fermés augmenterait l’efficacité tout en retardant éventuellement la progression de la myopie. Les fabricants de lentilles de contact souples ont longtemps été séduits par la possibilité d’un port prolongé, ce qui a incité les fabricants de matériaux GP à l’explorer également.

En 2002, la FDA a approuvé les lentilles de contact perméables au gaz Menicon Z pour un port continu de 30 jours. En 2003, Polymer Technology a reçu l’approbation préalable à la mise sur le marché (PMA) de la FDA pour le port de nuit du Boston Equalens II. Les matériaux HDS de Paragon (60 et 100) ont reçu l’autorisation préalable de la FDA pour le port de nuit en 2002. Les adaptateurs d’Ortho-K ont adopté la suggestion de Grant de porter les lentilles pendant la nuit, et lorsqu’elle a été associée à des matériaux de lentilles à Dk plus élevé, cela a marqué le début de l’ère de l’Ortho-K pendant la nuit.

L’intérêt pour l’orthoK s’étant accru, les praticiens avaient besoin d’un lieu où partager leurs résultats cliniques avec leurs pairs. Depuis des années, la National Eye Research Foundation (NERF) attirait des professionnels de la vue partageant les mêmes idées lors de réunions périodiques. Le Global Orthokeratology Symposium (GOS) a tenu sa réunion inaugurale au cours de l’été 2002. Plus de 350 praticiens de 30 pays et une vingtaine d’exposants étaient présents. La réunion s’est tenue à Toronto, en Ontario, au Canada, car OrthoK n’était pas une catégorie approuvée par la FDA aux États-Unis à cette époque. En outre, les organisateurs de la réunion souhaitaient obtenir des informations auprès des participants asiatiques à une époque où leurs déplacements aux États-Unis étaient plus limités.

Parmi les nombreux points forts de la conférence, citons une session au cours de laquelle les participants des différents pays se sont réunis entre eux pour discuter de la création de leurs propres associations d’orthoK, ce que beaucoup ont fait aux États-Unis et à l’étranger comme l’EurOK en Europe. La conférence du GOS s’est tenue annuellement au cours des années suivantes avant de se transformer en ce qui est maintenant le Global Specialty Lens Symposium (GSLS).

Son développement en Europe

Bien que l’histoire de l’orthokératologie et son développement a débuté outre-atlantique, la technique a rapidement traversé l’océan grâce à Marcel Kopito représentant de Polymer Technology (Boston materials) et s’est developpée en Europe. Grâce a cette intervention de Polymer Technology, Techno-Lens et Contopharma ont pu inviter Pat Caroline pour un congrès au musée olympique de Lausanne en 2000. C’est suite à cette présentation que l’équipe de Techno-Lens a eu l’envie de se lancer dans l’aventure. Des essais ont été réalisés avec des lentilles venues des Etats-Unis mais la méthode américaine n’était pas compatible avec les habitudes des professionnels en Suisse et en Allemagne. La décision a été prise de développer une géométrie selon les mesures d’excentricité de la cornée.

Techno-Lens a commercialisé pour la première fois les lentilles d’orthokératologie Sleep&See en Aout 2002. Une étude sur ces lentilles a vu le jour dès 2003 au sein de l’Hotel Dieu à Paris dirigée par le Dr Adrien Sarfati dans le service du Pr Gilles Renard.

Pendant ce temps Techno-Lens proposait des séminaires de formation en Allemagne et en Suisse. Avec des critères élevés (kératographe obligatoire, hygiène, formation obligatoire pour obtenir les lentilles) pour éviter les problèmes constatés en Chine à cause d’une commercialisation sans formation. (infections qui avaient causé l’interdiction de ces lentilles dans ce pays pendant quelques années.)

Il est difficile de désigner le premier laboratoire à avoir commercialisé la toute première lentille d’orthokératologie en Europe. ProCornea (Pays-Bas) était au coude à coude avec Techno-Lens.

Bruno Fantony, directeur de Techno-Lens fut un pionnier dans le développement de l’orthokératologie telle qu’on la connait aujourd’hui et a largement contribué à son adoption par les professionnels.

D’autres fabricants ont pris le train en route tel que Precilens en signant un partenariat avec ProCornea et leur lentille DreamLite sous le nom DreamLens en France, puis plus récemment avec Jaume Paune et la lentille DRL.

Menicon France avec la Z-Night en 2011 depuis son rapprochement avec la société NKL (Pays-Bas)

SwissLens sous mon impulsion en 2016 a lancé la NightFlex qui est aujourd’hui distribuée partout en Europe.

Enfin le laboratoire LCS a tout d’abord débuté l’aventure de l’orthokératologie avec la distribution des lentilles Paragon CRT (USA) et enfin le développement de l’Aéria OK.

Au niveau associatif, l’EurOK, présidé par Marino Formenti rassemble tous les professionnels européens passionnés par l’orthokératologie et organise des conférences tous les 2 ans pour mettre à jour les connaissances sur la pratique. L’EurOK propose également de nombreuses ressources techniques et formations à ses membres.

Postface :

De nombreux éléments cités dans cet article sont inspirés du guide sur l’orthokératologie rédigé par John Mountford qui est encore aujourd’hui une référence et que je recommande de lire à quiconque s’intéresse sérieusement à l’orthokératologie. Je tiens à remercier Bruno Fantony qui m’a insufflé cette passion pour l’orthokératologie dès 2010 et qui m’anime toujours aujourd’hui. J’ai également une pensée émue  en écrivant ces lignes pour le Dr Adrien Sarfati qui nous a quitté bien trop tôt. Et enfin je remercie le laboratoire SwissLens et son directeur Philippe Kaeppeli pour la confiance accordée et le développement  de solutions pour ralentir la progression de la myopie.

Références :

1 Jessen GN. Orthofocus techniques. Contacto 1962;6:200–4.

2 Nolan JA. Flashback: the first ortho-k meeting. Contacto 1995;38:9–1

3 May and Grant. Orthokeratology-control of refractive errors through contact lenses. J Am Optom Assoc, 42 (1971), pp. 1277-1283.

4 Grant, S.C. and May, C.H. Effects of corneal curvature change on the visual system. Contacto, 16, (2), 65-69 (1972).

5 Nolan, J.A. Orthokeratology with steep lenses. Contacto, 16, (3), 31-37 (1972)

6 Freeman 1978 Freeman, RA. Predicting stable changes in orthokeratology. Contact Lens Forum, 3, (1), 21-31 (1978).

7 Freeman, RA. Predicting stable changes in orthokeratology. Contact Lens Forum, 3, (1), 21-31 (1978).

8 Kerns, R.L. Research in orthokeratology. Part I: introduction and background. ]. Am. Optom. Assoc., 47, 1047-1051 (1976).

9 Kerns, R.L Research in orthokeratology. Part VIII: results, conclusions, and discussion of techniques. J. Am. Optom. Assoc., 49, 308-314 (1978).

10 Polse, K.A., Brand, RJ., Schwalbe, J.S., Vastine, D.W. and Kenner, R. J. The Berkeley orthokeratology study. Part II: efficacy and duration. Am. J. Optom. Physiol. Opt. 60, 187-195 (1983).

11 Coon, L.J. Orthokeratology: Part II: evaluating the Tabb method. Am. Optom. Assoc., 55, 409-418 (1984).

12 El Hage S. Photokeratoscopy and Controlled Keratoreformation. Paper presented at the International Symposium of Ophthalmological Optics; May 7–9,1978; Tokyo, Japan

13 Grant, S. Orthokeratology night therapy and retention. Contacto, 35, (June), 30-33 (1995).

14 Dr Adrien Sarfati – Les Cahiers d’Ophtalmologie Adrien Sarfati (cahiers-ophtalmologie.fr)